L’observatoire de la diversité culturelle a organisé le 27 janvier 2010 au théâtre du Garde-Chasse des Lilas un ciné-club sur le film « Téhéran sans autorisation », en présence de la réalisatrice Sepideh Farsi et d’une journaliste du Courrier international spécialiste du cinéma iranien, Hamdam Mostafavi. Critique du film et analyse des débats de la soirée.
« Téhéran sans autorisation », réalisé par Sepideh Farsi et sorti en salles le 2 décembre 2009, est une plongée dans la vie trépidante de Téhéran. Filmé avec le téléphone portable de la réalisatrice, ce film-documentaire offre une vue spontanée de la réalité sociale de la capitale iranienne, à une période clé de son histoire. Tourné avant l’élection contestée de juin 2009, le film peut apparaître a posteriori comme prédictif des événements récents. Une tension entre modernité et tradition, entre une jeunesse effervescente et revendicative et un conservatisme social et culturel fort semble traverser la société iranienne et la caméra de la réalisatrice nous la rend palpable.
Sous le voile…
Le film débute au rythme d’une chanson entraînante d’un rappeur iranien qui accuse Dieu d’avoir démissionner et l’invite à descendre dans l’arène sociale de Téhéran pour se rendre compte des multiples avanies dont souffrent le chanteur et ses congénères dans la galère. Le décor est planté. Embarquée derrière un scooter, la réalisatrice nous entraîne à sa suite dans des avenues bondées, des rues commerçantes animées, puis descend dans un métro dont la modernité n’a rien à envier aux capitales européennes si ce n’est que les femmes et les hommes montent dans des compartiments séparés. Tout au long du film, sont apostrophés passants, chauffeurs de taxi, tenanciers de bar, de théâtre, femmes allant à la prière, jeunes branchés et vieilles personnes. C’est là sans doute la principale performance du film : nous donner l’impression, au bout d’une heure et demi, d’avoir contemplé une fresque d’ensemble de la société de Téhéran.
Sepideh Farsi expliquera lors du débat avoir eu pour intention première de filmer le mouvement underground de la jeunesse à Téhéran : graffitis, musiques alternatives, etc. Mais elle se serait rendue compte que tout cela restait très marginal, et l’envie lui est venue de filmer plus largement la société de la capitale iranienne. Le public y gagne certainement au change.
Car « Téhéran sans autorisation » casse au passage un biais occidental récurrent dans le traitement de l’information relative à l’Iran : celui d’une société urbaine jeune qui chercherait à s’occidentaliser et à se « moderniser » mais qui en serait empêché par un pouvoir théocratique complètement déconnecté de la population. Or, la caméra de Sepideh Farsi nous montre aussi une société pieuse, des populations conservatrices, qui côtoient effectivement une jeunesse en rébellion, fer de lance des manifestations de protestation actuelles.
Le public lilasien, conquis par le film, s’est montré particulièrement intéressé, lors des débats, par cette tension entre modernité et tradition à Téhéran et en Iran plus largement. De nombreuses questions portaient sur le rapport de la société iranienne à la religion et à l’Occident. Questions auxquelles les invitées ont répondu en décrivant une société complexe, traversée par des mouvements traditionalistes et modernistes parfois contradictoires, un rapport au religieux qui est passé de la sphère privée à la sphère publique depuis la révolution islamique de 1989, et ce de manière problématique. La confusion entre ce qui relève du rapport personnel à la foi et une politique intrusive dans la vie privée des gens qui se fait au nom de cette même foi brouille les frontières entre religion et politique, et entraînerait une crise des valeurs dans laquelle se débat actuellement la société iranienne et dont il est difficile de présager du résultat immédiat.
La nouvelle « Nouvelle vague » du cinéma iranien
Tout l’intérêt de ce film est qu’il n’offre pas une vision figée et monolithique de la réalité sociale et culturelle iranienne. Et ce d’autant plus que le miroir nous est tendu par une réalisatrice qui se décrit elle-même comme « à cheval entre deux cultures », iranienne et française. En cela, « Téhéran sans autorisation » est révélateur d’une deuxième nouvelle vague du cinéma iranien, avec des réalisateurs de la diaspora qui portent sur leur pays un regard sinon neuf du moins plus distancié, et qui ne s’embarrassent pas des mêmes précautions que leurs congénères restés sur place. Un cinéma beaucoup plus réaliste et engagé là où le cinéma iranien est traditionnellement plus symbolique et minimaliste, quand il ne s’occupe pas de propagande sur les heures glorieuses de la guerre Iran-Irak.
De par son parcours et sa production cinématographique et documentariste (« Le monde est ma maison », « Homi Sethna filmaker », « Le voyage de Mariam », entre autres) Sepideh Farsi illustre bien la dynamique qui voit des cultures nationales se remettre en question et emprunter de nouveaux sentiers sous l’impulsion d’artistes de la diaspora. L’Iran ne diffère pas en cela d’autres grands pays d’émigration comme l’Inde ou la Chine dont la production cinématographique, pour ne considérer que cette seule production culturelle, s’est considérablement enrichie de l’apport original de leur diaspora.
Dans la forme comme dans le fond, « Téhéran sans autorisation » se révèle donc un véritable hymne à la diversité culturelle.
Par Emmanuel Leroueil.